Clash entre les frères jumeaux Louis (diplomé de Sciences Po) et Romain (diplomé de LSE) 

Le légendaire Collège universitaire de Sciences Po Paris ne trouve pas d’égal académique en matière de sciences politiques… en France. Mais au-delà de nos frontières ? De nombreux Français partent étudier à l’étranger, et notamment à la London School of Economics and Political Science, à Londres. Ah ! Voilà un rival digne de ce nom. Mais quel est le diplôme le plus prestigieux ? Quelle est la meilleure formation ? The top of the top ? Louis et Romain, 25 ans, sont frères jumeaux, et chacun a intégré l’une de ces deux prestigieuses écoles : Louis est allé à Sciences Po Paris, tandis que Romain a fait sa scolarité à Londres, à LSE. Débat fraternel.

     
1.    L’admission

Romain : Pas de concours pour entrer à LSE. La procédure de candidature est légère mais assez complète et le processus relativement long. Il faut envoyer ses résultats du Bac de Français, son dossier scolaire, et rédiger une lettre de motivation, qui constitue en fait le cœur du dossier. C’est un élément décisif pour l’admission qui nécessite une vraie réflexion personnelle pour réussir à exprimer clairement son parcours académique, ses motivations à vouloir étudier en Angleterre dans tel ou tel établissement, son projet d’études, etc. Et tout ceci doit tenir en une page, ce qui n’est pas si simple. Il faut également fournir une lettre de recommandation, rédigée par un professeur du lycée, qui présente l’élève et qui confirme son intérêt pour l’environnement anglo-saxon et les matières souhaitées. Ce professeur donne aussi des prospective grades (notes prévisionnelles au baccalauréat), car la candidature se fait avant l’examen. Enfin, dans certains cas, un test d’anglais est demandé (IELTS, TOEFL), avec une note minimale requise. Une fois le dossier envoyé à maximum 5 universités sur UCAS (l’équivalent d’APB), si son dossier est retenu l’élève reçoit une offre basée sur son baccalauréat et/ou son résultat au test d’anglais. LSE prend aussi en compte les réussites et/ou échecs extra-scolaires de chaque élève, qui sont valorisés quand ils s’inscrivent dans une réflexion mûrie. LSE c’est plutôt « aide-moi à te choisir toi plutôt qu’un autre ». À Sciences Po, c’est plutôt « réussis ton concours, et on discutera après ». 

 

Louis : Excuse-nous de ne pas donner dans le pathos ! Je te rappelle que tu as quand même échoué deux fois à ce concours…

Réussir Sciences Po, c’est exigeant. L’admission est non seulement sur dossier mais aussi sur concours. Elle nécessite un profil très complet (histoire, langues, économie, mathématiques, philosophie…) et évalue réellement les qualités intellectuelles du candidat. Le concours rééquilibre les dossiers scolaires : on est tous égaux devant un concours, si tu le bosses correctement, tu réussiras. Cette exigence reflète quand même un certain niveau, d’entrée de jeu.

2.    Le cursus et le diplôme

Louis : À Sciences Po, la formation reste généraliste lors du Bachelor (trois premières années), ce qui nous apporte une grande ouverture et une curiosité intellectuelle, qui sont nécessaires à 18 ans avant de choisir une spécialité en Master. Un diplôme est décerné à la fin du Bachelor, ce qui permet de s’orienter vers d’autres établissements mais c’est très peu recommandé, étant donné que le Master est considéré comme une forme de « consécration ». En France, la licence n’est pas assez reconnue sur le marché du travail, faire un Master quand on se lance dans les études supérieures, c’est presque une évidence. C’est ce qui permet à Sciences Po d’offrir ce cursus généraliste avant d’imposer une spécialisation, ce que le modèle anglais ne peut pas proposer tant les étudiant.es entrent rapidement sur le marché du travail.
S’agissant des spécialités en Master, Sciences Po fait preuve d’une grande flexibilité et adapte chaque année sa maquette pédagogique afin d’explorer les voies plus diverses et de proposer des formations en phase avec les évolutions du monde économique. Il est dès lors possible de s’orienter vers les affaires publiques (préparation aux concours administratifs français ou européens), la finance, le conseil, le droit, le marketing, le journalisme, la communication, l’urbanisme, la recherche académique, etc. 
La relative longueur du cursus de Sciences Po est propice aux modulations : l’année de césure est encouragée afin de s’aguerrir lors de stages ou de séjours universitaires à l’étranger. Sortir de sa « zone de confort » pour acquérir une certaine aisance face à des cultures différentes est un atout vital et qui a longtemps été négligé par le monde universitaire. De ce point de vue, Sciences Po fait figure de pionnier et pousse à la construction de profils internationaux pour ses étudiant.es, notamment lors de cette fameuse année de césure.
Cas unique en France : l’intégralité d’une promotion est envoyée à l’étranger, avec un choix entre stages et universités prestigieuses (ce qui est plus intelligent qu’un simple programme Erasmus) sur l’intégralité du globe, des confins de l’Asie et de l’Amérique du Sud aux élégants campus de l’Ivy League, en passant par l’Afrique, dont l’attractivité ne cesse de croître. Pour ma part, j’ai effectué une année de césure entre mes deux années de master (deux fois 6 mois de stage dans des cabinets d'avocats, tous les deux trouvés lors du Forum des Métiers du Droit organisé chaque année par Sciences Po).
 

Romain : Tout doux l’agneau, permets moi de reformuler : historiquement, Sciences Po est passé de 3 à 5 ans... J’aimerais savoir pourquoi... En réalité, les 3 premières années sont un peu « flan flan », où on étudie un peu de tout sans savoir vraiment rien faire ; on termine une licence et on n’est pas tout à fait employable sur le marché du travail. En revanche, on profite bien de la vie étudiante, le tout avec des frais de scolarités qui eux, pour le coup, peuvent rivaliser avec ceux de la LSE…
Déjà, LSE dure seulement 3 ans, avec une spécialisation, une « aire d’expertise » à choisir dès la première année. Plus de 50% des étudiant.es entrent sur le marché du travail dès l’obtention du Bachelor, donc vers 21-22 ans, soit près de 3 ans avant les Français ! 
C’est le thème récurrent de la « tête bien faite vs tête bien pleine ». Le système anglo-saxon demande une spécialisation d’entrée de jeu, mais qui n’influe pas vraiment sur le choix de carrière. Des élèves étudient l’Histoire et travaillent finalement en finance, conseil, startup, etc. L’excellence dans un domaine suffit à démontrer la capacité de l’étudiant à être performant partout ailleurs, en comptant sur sa faculté d’adaptation pour « apprendre sur le tas » (learning by doing).
En Bachelor, il n’y a pas, sauf cas exceptionnel, d’échanges ni de stages intégrés dans le cursus. Cependant, il y a 70% d’élèves internationaux à LSE et la ville, la culture, le système de notation sont nouveaux pour beaucoup (pas de contrôle continu, 100% de l’année se joue sur les examens finaux, sans rattrapage - Oxford, Cambridge et LSE sont les seules à fonctionner de cette manière). Ça constitue déjà un choc culturel conséquent et une expérience directement à la sortie du bac. Pas de panique, la 1ère année ne compte que pour 1/9 de la note de cursus globale. L’idée est vraiment de donner un an d’adaptation aux nouveaux étudiant.es de LSE.
Enfin, le système est extrêmement flexible, donc à partir du moment où on a un projet réfléchi et structuré, on peut alterner année de césure ou stage quand on le souhaite. Généralement, le cursus se termine avec un mémoire à soumettre pendant l’été de la "graduation". 

3.    Les professeurs

Romain : Sur ce coup, va au bois l’ami. LSE possède un des meilleurs centres de recherche au monde, plus spécialement en Economie et Sciences Sociales, et comptabilise 16 prix Nobels avec les derniers obtenus en 2008 et 2010, et beaucoup d’élèves en doctorat aussi. Les professeurs sont à la pointe dans leur domaine. Que ce soient les professeurs d'amphithéâtre ou les chargés de TD, ils sont très accessibles, on prend facilement des cafés avec eux après les cours. Beaucoup de professeurs de cours magistraux ont un autre métier en parallèle, ce qui permet d’avoir très vite un premier contact avec le monde de l’entreprise. On a aussi des office hours chaque semaine, ou l’on peut aller voir individuellement chaque professeur dans son bureau. Enfin, on nous donne aussi à notre arrivée un Academic Adviser qui nous suit pendant notre cursus et nous oriente dans nos choix professionnels.
Beat that, bro !
 

Louis : Pour le coup, c’est vrai qu’il y a un gros niveau à LSE. Cependant, on ne peut pas négliger les gros efforts de Sciences Po dans le recrutement de professeurs et de chercheurs renommés. Et puis, à Sciences Po aussi les professeurs sont presque systématiquement à la pointe de leur spécialité (publications, interventions dans des universités prestigieuses autour du globe). Je dirais peut-être que les professeurs de TD sont plus jeunes et donc moins chevronnés, mais plus accessibles. Les professeurs plus seniors et réputés donnent généralement des cours magistraux.

4.    La reconnaissance de la formation en France et dans le monde

Louis : Les deux écoles ont une ancienneté presque similaire (1872 pour l’Ecole libre des Sciences Politiques, 1895 pour LSE). Sciences Po a récemment fait d’importants progrès depuis l’ère Descoings (1996) pour promouvoir la marque Sciences Po à l’étranger. On peut parler tant qu’on veut du fait que LSE compte des étudiant.es internationaux, il n’en reste pas moins que Sciences Po attire aussi beaucoup d’étudiant.es étrangers, issus des universités les plus prestigieuses. Sciences Po demeure symbole de l’excellence à la française.
Encore une fois, depuis l’ère Descoings, le réseau « Sciences Po Avenir » et la Fondation de l’école mobilisent davantage de moyens et parviennent à lever des fonds importants, permettant en partie à Sciences Po d’agrandir son parc immobilier en plein Saint-Germain des Prés, et d’entretenir un réseau d’anciens. J'ai par exemple fait un stage en 3ème année à New York, dans le département marketing d'une petite boîte (à l'époque) de cosmétiques (NARS), c'était fabuleux, et aucun rapport avec ma spécialité en Master (droit des affaires). L'offre pour ce stage n'était destinée qu'à des étudiant.es de Sciences Po, le PDG de l'époque étant un ancien de la maison (force du réseau d'alumni de l'école !)
Si LSE a pu essuyer quelques scandales en 2010, son réseau reste indéniablement plus développé, mais ça, c’est la culture anglo-saxonne. Dans tous les cas on n’oublie pas que Monica Lewinsky a fait LSE, ou le fils de Gaddafi... Mais aussi Mick Jagger ou Kennedy.
 

Romain : En fait, c’est un peu difficile de débattre sur cette question. Souvent Sciences Po s’est affublé du titre de « la LSE Française », à tort ou à raison, mais avec un projet pédagogique qui était plus ou moins copié sur celui de LSE sans vraiment s'en cacher : ils ont notamment recruté l’ancien directeur de LSE, Sir Howard Davies, comme professeur d’Affaires Internationales à Sciences Po. D’ailleurs les deux universités sont souvent en compétition pour les mêmes professeurs, le dernier en date étant Thomas Piketty, qui a finalement choisi la voie la plus sage… LSE ! Sorry, bro...
Bref, la réputation de LSE est excellente, que ce soit aux USA, en France, en Asie et en Angleterre évidemment. Elle est très bien placée dans tous les classements académiques qui sortent chaque année, et c'est l'un des premiers pourvoyeurs d’emplois à Londres, surtout à la City (on a souvent évoqué LSE comme la « nursery de la City »). 
2015 a été l’année du 120ème anniversaire de l’université, et l’occasion de se rendre compte de son influence, avec environ 130 000 alumni de 200 nationalités différentes. LSE a toujours beaucoup développé son réseau d’anciens, ce qui a d’ailleurs récemment porté ses fruits avec le plus important don de l’histoire de l’université par le philanthrope Paul Marshall, afin de créer la chaire de Philanthropie et Entreprenariat Social. L’école a aussi beaucoup investi récemment dans son parc immobilier en plein centre de Londres autour du campus historique, avec notamment un nouveau bâtiment construit pour le Student Union.

5.    La vie étudiante

Romain : Du fait de la présence de ce campus urbain en plein centre de Londres, la vie étudiante est très intense et il y en a pour tous les goûts : cela va de la finance society pour les plus motivés à la houmous society pour les plus funs. Le LSE Students Union fait en sorte que tous les élèves s’impliquent dans la vie de l’université, même si ce n’est pas trop ton truc et que tu as élu domicile à la bibliothèque (on y rencontre tout un spectre de spécimens intéressants, surtout en période d’examen ou la bibliothèque est ouverte 24h/24 de janvier à juin ; les étudiant.es en Science Sociales et Anthropologie y viennent d’ailleurs souvent faire des analyses terrain pour leurs mémoires…). 
Les mercredis après-midi sont aménagés pour laisser place aux sports et aux activités associatives, et tous les vendredis, le Three Tuns (le bar de l’université) devient vite un passage obligé, pas forcément pour sa musique mais plutôt pour les pintes de bière les moins chères de Londres. Même le Basile (le bar mythique de la rue Saint-Guillaume, juste à côté de Sciences Po) ne peut pas rivaliser !
Les étudiant.es de LSE ont une réputation assez sulfureuse en Angleterre, car ils descendent facilement dans la rue pour manifester, ce qui ne dépayse pas trop les Français finalement ! Je me souviens des manifs l’année où le gouvernement anglais a décidé de tripler les frais de scolarité. On se serait cru à Sciences Po un jour de semaine…  
 

Louis : Très drôle, Romain… Mais la bave du crapaud n’atteint pas la blanche colombe ! À Sciences Po, la vie associative est débordante et très variée : sports, arts, culture, religion et bien sûr politique ! Il y en a pour tous les goûts et elle est fortement encouragée. Pour ma part, je n’ai pas fait d’association car j’étais déjà engagé à l’extérieur, mais cela montre que Sciences Po laisse beaucoup de temps aux activités extra-scolaires.
L’administration travaille main dans la main avec ces associations, leur ouvre le réseau de l’école pour l’organisation de conférences ou colloques, et peut leur apporter un soutien financier. Cela permet d’avoir de nombreux événements de qualité et bien organisés. 
Et puis bien sûr, un peu comme dans n’importe quelle école, les soirées étudiantes fleurissent et ces 3 premières années à Sciences Po, un peu plus « light » que celles du Master, permettent de profiter pleinement de ces belles années étudiantes.

6.    Où en êtes-vous aujourd’hui, et qu’est-ce que vous a apporté votre formation ?

Louis : Je suis actuellement à l’EFB (École de Formation professionnelle des Barreaux de la cour d'appel de Paris), donc bientôt avocat ! Contrairement à l’université de droit, Sciences Po m’a apporté davantage de recul sur le monde du droit, j’ai pu y découvrir toutes ses facettes, on n’a pas juste le nez dans le code civil. La fameuse « méthode Sciences Po » apporte esprit de synthèse et concision, tandis que la récurrence des exposés demandés facilite la prise de parole en public et la clarté de l’expression.


Romain : Je travaille à Londres chez Bally, une entreprise de luxe en retournement. LSE, et le modèle anglo-saxon en général, m’ont ouvert sur un champ des possibles académiques beaucoup plus vaste que ce qu’on nous présente dans les lycées en France, sur le monde, sur la possibilité de commencer à travailler plus facilement à l’étranger, et sur un réseau international d’amis ou de professionnels. J’imagine que faire un cursus à l’étranger te rend un peu plus libre, dans tes opinions et tes jugements. On a le plus beau pays du monde, avec des entreprises incroyables et un écosystème d’entrepreneurs qui se développe rapidement, autant aller chercher ce qu’il y a de mieux à l’étranger pour le rapporter chez nous ensuite!

7.    Le mot de la fin 

Louis : Sciences Po a longtemps eu une image d’école prestigieuse mais rétrograde, pas toujours en rapport avec son temps et concentrée sur la formation des métiers de la politique en tant qu’antichambre de l’ENA. Le processus de « dépoussiérage » est dorénavant achevé, avec une école qui a su conserver son niveau d’excellence tout en se modernisant et en s’ouvrant à l’international pour avoir aujourd’hui l’image d’une école d’avenir. Si LSE paraît avoir une longueur d’avance en termes de notoriété et de moyens, Sciences Po s’en rapproche de plus en plus, portée par les nombreuses réformes abouties ou en cours de la part de l’administration de l’école.


Romain : Il est vrai que Sciences Po a fait une incroyable remontée dans les classements grâce à une image plus internationale et moins « élitiste » qu’auparavant. Les complémentarités des deux écoles sont assez évidentes finalement, et les nombreux partenariats qui existent entre les deux au niveau Master le prouvent… Cette alliance entre Sciences Po et LSE, c'est d’ailleurs un des seuls moyens que nous avons, en tant qu'Européens, de rivaliser avec les mastodontes universitaires qui existent de l’autre côté de l’Atlantique…