Entretien avec Dominique Crépin, directeur des classes préparatoires d’HEI

Qu’est-ce qu’une classe prépa implantée ?

Les élèves en classe prépa implantée suivent les programmes officiels des classes préparatoires ; mais à la différence de la classe prépa intégrée, qui fait partie d’un cursus en cinq ans au sein de la même école, la classe prépa implantée laisse le choix aux élèves de passer des concours en fin de prépa. C’est le cas d’un faible pourcentage de nos élèves, la grande majorité d’entre eux choisissant de suivre, après la prépa, le cycle ingénieur d’HEI qui se déroule en trois ans.

En quoi la classe prépa implantée se distingue-t-elle d’une classe prépa classique ?

La formation en classe prépa implantée se distingue par le fait qu’elle soit tournée plus tôt vers le monde de l’entreprise qu’une classe prépa « à concours » : on entend parler du métier d’ingénieur, de l’entreprise, des fonctions qu’on pourrait y occuper. Les classes prépas implantées offrent autant que possible une vue aux élèves sur leur futur métier. Chez nous, les élèves sont mis en relation avec le monde de l’entreprise tout d’abord à travers un stage ouvrier en fin de première année, mais aussi à travers des rencontres avec des ingénieurs en poste, ou encore des visites d’entreprises. Fréquemment en contact avec les élèves du cycle ingénieur, les élèves de prépa ont ainsi la possibilité de se projeter plus facilement dans l’avenir. Ce sont autant d’adaptations qui orientent ces études directement vers le métier d’ingénieur.

Y a-t-il un profil d’étudiant pour les classes prépas implantées ?

Les classes prépas implantées forment des élèves qui savent déjà un peu ce qu’ils veulent faire après leurs études : ils ont le projet d’être ingénieur et ils ont une idée des secteurs d’activité qui les intéressent et qu’ils auront vus par exemple dans la plaquette de notre école parmi les spécialisations que nous proposons (quatorze au total, dont le BTP, la chimie, etc.). Il s’agit aussi d’une population d’élèves qui n’a pas envie de se mettre dans une situation de compétition liée à un concours, qui préfère travailler dans l’entraide plutôt que de se classer systématiquement pour réussir le meilleur concours possible. En classe prépa implantée, la sélection se fait au moment de la procédure d’admission APB ; une fois en école, les élèves sont évalués par un contrôle continu. Tout ne se joue pas sur un concours qui se déroule en quelques jours : si on rate un devoir, on sait qu’on peut se rattraper par la suite. 

Nos étudiant.es cherchent donc un parcours plus sécurisé et ne se sentent pas faits pour la compétition à tout va. Mais bien entendu, nous avons un règlement des études, et les étudiant.es dont le travail serait insuffisant peuvent être remerciés ou contraints de doubler. Notre diversité de recrutement est, par ailleurs, relativement importante : certains élèves sont excellents, d’autres moyens, et il me semble que c’est tout à notre honneur d’amener ces élèves, moyens au départ, à des postes de cadre. Cette diversité se remarque également dans d’autres domaines : la provenance sociale, la culture, le culte, mais aussi la géographie, puisque notre école, située à Lille, compte seulement 30% d’élèves venant des régions Nord-Pas-de-Calais et Picardie.

Comment évaluez-vous le niveau des élèves qui intègrent vos classes prépas ?

Tous les professeurs de classes préparatoires vous le diront, les élèves qui sortent du lycée ont un niveau scientifique plus fragile qu’il y a dix ans, et moins de rigueur. Le défi de les amener à un niveau satisfaisant, avec des fondations scientifiques solides, est accru. Nous remarquons chez eux une déficience calculatoire importante, qu’il nous faut compenser ; il faut dire que l’on passe d’une méthode de calcul numérique au lycée à une méthode littérale dans l’enseignement supérieur. Mais je remarque par ailleurs que ces élèves sont humainement beaucoup plus épanouis qu’auparavant ; ils sont, me semble-t-il, plus spontanés, plus francs, davantage ouverts sur le monde. C’est en tout cas ce que remarquent nos professeurs de formation humaine. Je ne dirais donc pas que les élèves sont moins bons : plutôt différents, avec des défauts mais d’autres qualités.

Quelles mutations l’enseignement dans vos classes prépas a-t-il connues ?

« Responsabiliser les étudiant.es en les obligeant à aller chercher les connaissances et à se les approprier »

Comme première mutation, je dirais que l’accès à la connaissance étant de plus en plus facile, l’enjeu se concentre davantage dans l’acquisition d’un esprit critique. On a aujourd’hui tous les outils pour accéder au savoir ; le tout est de savoir comprendre et utiliser ces outils. Ensuite, il existe actuellement de profondes mutations dans nos méthodes pédagogiques. Nos enseignants ont recours à une pédagogie plus interactive et, dans une moindre proportion, ils tentent également de mettre en place la pédagogie dite « inversée » : les élèves s’approprient le cours chez eux puis le cours sert à donner d’éventuelles explications et à faire appliquer les connaissances. En somme, les élèves sont rendus davantage acteurs de leur formation. Bien entendu, cela prend du temps, les élèves étant encore très habitués à être « consommateurs » en cours. Je trouve ces évolutions intéressantes parce qu’elles responsabilisent les étudiant.es en les obligeant à aller chercher les connaissances et à se les approprier, ce qui les prépare bien aux fonctions de cadre : en arrivant en entreprise, on doit tout découvrir, s’adapter. Il s’agit d’évolutions générales, mais en toute franchise, elles sont enclenchées chez nous assez rapidement. Par comparaison, la grande majorité des classes prépas «  à concours » conservent un modèle classique de formation.

En quoi la formation des ingénieurs à HEI diffère-t-elle de celle qu’on peut trouver dans d’autres écoles ?

Nous mettons l’accent sur certaines disciplines, comme les langues vivantes (une seconde langue vivante est obligatoire). De plus, nous favorisons, en parallèle de la formation scientifique, le développement personnel des élèves, notamment à travers la formation humaine, qui n’est pas une matière au programme des classes prépas, mais un plus de notre école. La formation humaine offre une occasion aux élèves de réfléchir à leurs convictions personnelles, à l’actualité, au monde qui les entoure : des sorties culturelles leur sont par exemple imposées (théâtre, expositions). Cela leur permet d’approfondir leur connaissance d’eux-mêmes et des autres, ce qui me paraît d’autant plus primordial que le contexte dans lequel nos étudiant.es évoluent à leur sortie d’école est différent : ils sont dans un système mondial où écouter, comprendre et interagir avec l’autre est très important. Dans ce système, les relations sont aussi moins hiérarchisées : ainsi pour un ingénieur, il faut savoir aller parler aux techniciens, aux ouvriers s’il y en a dans l’entreprise. Enfin, il me semble qu’un jeune bien dans sa peau sera plus à même de prendre, plus tard, des responsabilités. 

Nous essayons aussi de développer chez nos élèves le sens de l’engagement, par exemple en politique : je remarque qu’il n’y a presque pas d’ingénieurs à l’Assemblée nationale ! C’est dommage parce que les ingénieurs sont des moteurs de la société, à travers les entreprises dont ils font partie et à travers leur créativité. C’est pourquoi nous voulons inciter nos élèves à réfléchir à leur place dans la cité, à la place qu’ils peuvent y tenir. Notre école travaille par exemple avec les maisons de quartier de Lille : nous proposons aux élèves d’aller y faire du soutien scolaire. 

Nos classes ont, par ailleurs, connu quelques évolutions récentes : tout d’abord, la création de deux classes (une Math Sup et une Math Spé) dans le cadre des « Cordées de la réussite », pour permettre à quelques élèves de suivre leur scolarité chez nous en bénéficiant de financements publics. Nous avons aussi créé une classe que j’appelle «  prépa rebond », pour des étudiant.es recalés en médecine en janvier, qui peuvent faire chez nous un semestre plus dense qui leur permet de passer en Math Spé l’année suivante sans oublier notre parcours Européen dont une partie des enseignements est dispensée en anglais.

Ces différences ont-elles un impact sur le parcours de vos élèves après leurs études ?

« Ce qui ressort du témoignage de nos élèves, c’est une capacité d’adaptation à l’entreprise importante.»

« 20% de nos élèves sont embauchés à l’international à leur sortie d’école. »

Tout d’abord, ce qui ressort du témoignage de nos élèves, c’est une capacité d’adaptation à l’entreprise importante, doublée d’une humilité, d’une simplicité d’approche. Ils s’intègrent bien aux groupes qu’ils rejoignent, et s’adaptent autant à leur milieu qu’aux missions qui leur sont confiées. Par ailleurs, je suis frappé par la diversité des secteurs d’activité dans lesquels travaillent nos anciens élèves : certains sont dans la mode, d’autres ont monté leur entreprise, d’autres encore ont des fonctions plus traditionnelles dans le BTP ou encore dans l’informatique. Ceux qui travaillent chez LVMH ou Chanel ne sont évidemment pas du côté créatif, mais ils sont par exemple chargés de la qualité des produits, un métier exigeant et important dans ces maisons de luxe. Enfin, je remarque que 20% de nos élèves sont embauchés à l’international à leur sortie d’école, une proportion que je trouve impressionnante. J’ai donc du mal à répondre aux élèves qui viennent me demander des conseils sur leur orientation : on leur donne des outils et ils ont un tel potentiel que c’est à eux de faire leur propre parcours !

Et les élèves, que disent-ils de leurs études a posteriori ?

Qu’ils ont été heureux ! C’est d’abord l’âge qui fait cela : ils découvrent la vie étudiante avec ses contraintes mais aussi ce qu’elle a de festif… On a quitté ses parents, on est étudiant à Lille, qui est une ville très vivante et accueillante ; on fait des rencontres, on s’ouvre à de nouvelles réalités. Ils disent également avoir eu des cartes en main pour la vie active, dont certaines auxquelles ils ne s’attendaient pas.